Comme un fauteuil voltaire dans une bibliothèque en ruine

J’ai dévoré ce roman comme un livre de science fiction… prémonitoire par moments, qui fait froid dans le dos !

Il y est question notamment du dérèglement de l’environnement.

 

Comme un fauteuil Voltaire dans                                   Editions Mille et une nuits

Une bibliothèque en ruine                                                                                                                                                               2007

Jérôme Leroy                                                                978.2.75550.008.0

                                                                                                          lu en février 2014 ***

 

 

 

Quatrième de couverture :

 

«  – Mais, vois-tu, il y a trente ans, quand j’étais petit garçon, si l’on m’avait dit que j’allais vivre dans un monde où l’on risque sa peau en mangeant, en se baignant, en faisant l’amour, un monde où il faut accepter de porter des masques certains jours, où la fête est devenue une obligation, un monde où l’on bombarde ses propres banlieues, où l’eau manque, où l’on ne peut plus jamais être seul sans avoir l’air suspect de maladie mentale, où vouloir faire un enfant à une femme en entrant en elle est devenu obscène, alors, tu vois, j’aurais dit à ce type que j’aimais bien la science-fiction, mais que, là, il y allait tout de même un peu fort. Qu’il n’était pas crédible… On supporte tout ça parce que ce n’est pas arrivé d’un seul coup, mais à doses homéopathiques, mois après mois, année après année. En fait, la catastrophe est lente, Agnès, terriblement lente. C’est une fin du monde au ralenti. Tu comprends ?

–       Je crois, oui. Hélas, je crois que je comprends.

 

L’auteur :

 

Né en 1964, Jérôme Leroy est romancier. Il est notamment l’auteur de Une si douce apocalypse (les Belles Lettres, 1999), le Déclenchement muet des opérations cannibales (Editions des Equateurs, 2006) et de Rêves de cristal (Mille et une nuits, 2006).

 

Extraits :

 

Page  12

« Vous voyez, messieurs, la jeune femme qui vient de nous servir, vous lui donneriez quel âge ? Vingt-deux ou vingt-trois ans au maximum, n’est-ce pas ? Cela la fait naître au début des années quatre-vingt. Eh bien laissez-moi vous dire, messieurs, chers compagnons de boisson et de billard, que cette jeune femme n’est plus humaine. Enfin plus tout à fait humaine. On lui a, à la naissance, implanté une puce électronique ou quelque chose de ce genre, je ne suis pas un spécialiste. Vous aurez compris, n’est-ce pas, qu’elle n’est pas la seule dans ce cas. Tous les bébés nés après le premier choc pétrolier ont subi ce traitement. Après le premier choc pétrolier, en 1973, les pays occidentaux ont compris que le monde allait progressivement devenir invivable. Le chômage massif, les inégalités sociales, la nourriture trafiquée, enfin tout ce que nous mangeons aujourd’hui. Nos dirigeants, à notre insu, ont donc décidé de créer un homme nouveau, un homme qui ne se révolterait pas dans un monde de plus en plus fou. Un homme qui accepterait de vivre dans des zones pavillonnaires et de participer à des émissions de téléréalité, un homme qui apprécierait de passer ses week-ends dans des centres commerciaux et serait convaincu d’en être heureux. Pour ces spécimens, ainsi programmés, reconnaissons que l’implantation de la puce a été parfaitement réussie.

Le programme d’adaptation s’est d’ailleurs intensifié après le second choc pétrolier, en 1978. Cela explique pourquoi, messieurs, tous ceux qui ont plus de trente-cinq ou quarante ans ont certains jours l’impression, en regardant ceux que nous appellerons par commodité les jeunes, de vivre en face de créatures étranges, qui adorent, par exemple, participer à des soirées régressives sur le thème de l’Ile aux enfants ou de Capitaine Flam.

Cela explique aussi pourquoi, nous tous autour de cette table, nous sommes des bras cassés de l’amour et que nous n’assurons pas une cacahuète avec les filles plus jeunes que nous. Ce n’est pas à cause de notree ventre ou de nos cheveux qui se font la malle. Non, non, messieurs, c’est à cause de ce programme de conditionnement massif de la population née après 73, c’est à cause des puces, messieurs, tout simplement.

 

 

Page 156

Ne pas consommer, dans le monde d’aujourd’hui, c’est un crime ! Vous participez au risque de précipiter l’effondrement de tout le système. Certes, ce crime n’est pas encore inscrit dans nos lois, il n’en demeure pas moins que c’en est un. En attendant qu’il entre dans notre code pénal –ce qui ne saurait tarder-, j’ai accepté la direction de ce service occulte qui remet déjà progressivement dans le droit chemin les quelques dizaines de milliers de brebis égarées de votre espèce. Bien sûr, si vous racontiez quoi que ce soit à la presse, nous vous avons fabriqué un dossier qui prouve que vous êtes un terroriste pédophile, doublé d’un trafiquant toxicomane. Alors, c’est bien d’accord, monsieur Lalouette, la semaine prochaine, vous aurez rendez-vous avec mon collègue, le lieutenant Richard, et vous vérifierez tous les deux que vous avez bien rempli les objectifs que nous avons fixés en commun : un téléphone portable, trois paires de baskets de marque, un ordinateur, une connexion Infonet, un écran plasma, trois DVD hebdomadaires, une heure de jeu vidéo en ligne par semaine, cinq disques de rap et de variété internationale, une crème de jour…

Comme ça, on commencera en douceur, n’est-ce pas, monsieur Lalouette ? Il ne faut pas brusquer les choses, vous êtes un convalescent, en quelque sorte…

 

 

Page 183

Marie Aubert avait le démon du bien.

A vingt-quatre ans, cette jeune assistante sociale, une brune aux faux airs d’Audrey Tautou, avait pris son premier poste à la Ddass de Seine-Maritime et s’était mis en tête de sauver le monde entier.

En d’autres temps, Marie Aubert aurait été une sainte de vitrail, un modèle de charité chrétienne finissant boulottée par les lions des arènes, avec les yeux humides et un sourire d’extase.

Etait-ce sa ressemblance avec la délicieuse actrice qui avait influencé son comportement, toujours est-il qu’elle se comportait comme Amélie Poulain, dans un mélange unique et poisseux de bons sentiments et d’optimisme forcené. Marie Aubert était tout le temps de bonne humeur, voyait systématiquement la vie en rose et donnait, au bout de quelques heures passées en sa compagnie, l’irrésistible envie de la gifler, de la mordre, de lui tirer les cheveux et de lui dire de la fermer une bonne fois pour toutes.

 

 

 

Page 195

A soixante-quinze ans, il était au sommet de sa carrière. Sa villa flottante de trente pièces avec deux piscines en était un témoignage patent. Un demi-siècle au service de Françallemagne, un demi-siècle à être le chouchou du régime, le conseiller favori des chanceliers-présidents, à parfaire la grande Fusion, à gommer l’Histoire, cette folle du logis, à en finir avec les repères nationaux, ces idioties bonnes pur les archéojacobins…

Et maintenant ce livre, qu’il concevait un peu comme une gifle donnée à un enfant trop gâté. La françallemagne n’était pas assez libérale à son goût. Elle donnait un mauvais exemple à ses partenaires de l’Union. Dire qu’elle était le dernier Etat de la planète à préconiser un salaire minimum et à subventionner des programmes d’aide aux Outers, ces hordes de pauvres qui vivaient au-delà des barrières d’énergie protégeant les grandes villes. Les politiques seraient mieux avisés de laisser faire les consortiums, surtout devant la république sino-indienne des Conseils. Ne faisait-elle pas un peu trop rêver le peuple françallement ? […]

Il racla le fond de son pot de glace à la vanille avec volupté. Deux terrasses plus bas, ses invités s’amusaient dans la piscine. A l’horizon, une multitude de yoles solaires filaient à grande vitesse. Une régate, sans doute…