LE PREMIER JOUR D’ÉCOLE

LE PREMIER JOUR D’ÉCOLE d’Annette

 

 

Dame Gertrude est sérieuse, ce matin, plus sérieuse encore que de coutume. D’ordinaire elle s’évertue à paraître gaie, à causer avec sa petite-fille Annette, à lui chanter de vieilles chansons, à lui conter des histoires pour la faire rire ; car dame Gertrude pense que la tristesse n’est pas bonne pour les enfants, et elle fait son possible pour que sa petite Annette ne s’ennuie pas avec elle. Une enfant qui n’a ni père ni mère, ni frères ni sœurs, pensez donc ! rien que sa grand’mère pour prendre soin d’elle et pour l’aimer ! Dame Gertrude lui parle de ses parents, qu’elle n’a guère connus, le soir en lui faisant faire sa prière, et les jours où elle la mène dans le cimetière mettre des fleurs fraîches sur leurs tombes ; mais tout le jour elle tâche de se faire enfant pour égayer sa petite-fille. C’est une bonne grand’mère que dame Gertrude.

Mais une petite fille ne peut pas rester toujours à la maison, seule avec une vieille femme ; il faut qu’elle voie d’autres personnes, es enfants de son âge, surtout. Et il faut aussi qu’elle s’instruise : tout le monde s’instruit maintenant. La belle figure que ferait dans la vie une personne qui ne saurait rien !

Annette sait déjà quelque chose ; elle aide très bien au ménage, et elle peut tricoter un bas, à condition que sa grand’mère l’aide à passer le talon et à finir le bout du pied. Elle sait aussi lire, en suivant les lignes avec son doigt ; et surtout elle sait obéir à tout ce que sa grand’mère lui commande et s’appliquer de tout son cœur à ce qu’elle fait. Il y a peut-être à l’école bien des enfants qui n’en savent pas aussi long qu’elle.

Quoi qu’il en soit, dame Gertrude a décidé que sa petite Annette irait à l’école ; elle l’a conduite un jour à la maîtresse, pour la lui présenter et lui promettre au nom de l’enfant docilité, respect et bon vouloir ; et il a été convenu qu’aujourd’hui lundi Annette ferait son entrée à l’école.

La grand’mère et la petite fille se sont levées de bonne heure ; elles sont presque aussi émues l’une que l’autre à l’idée de se séparer pour quelques heures. Pour Annette, c’est un premier pas dans le monde, le vaste monde qu’elle ne connaît pas ; comment sera-telle accueillie par toutes ces petites filles, qui vont à l’école depuis longtemps et qui sans doute sont déjà savantes ? Et la maîtresse ? elle avait une figure bien douce chez elle, quand elle souriait à Annette en l’engageant à être une bonne petite fille ; mais peut-être que dans la classe elle sera très sévère. Annette se sent le cœur un peu serré, et elle a eu de la peine à avaler les bonnes tartines de pain grillé et de beurre frais que sa grand’mère lui a servies avec son café au lait. Elle a fini pourtant par en venir à bout ; car dame Gertrude lui disait : « Il faut manger, Annette, pour pouvoir bien travailler ; » et Annette obéit toujours à sa grand’mère.

La voilà prête, la petite Annette ; bien peignée, bien propre, bien chaudement vêtue, avec ses guêtres tricotées par dame Gertrude, et son petit mantelet croisé sur sa poitrine et noué par derrière. « Est-ce qu’il est l’heure de partir grand’mère ? » dit-elle d’une voix qui tremble un peu. Dame Gertrude jette un regard au vieux coucou qui lui a marqué les heures de toute sa vie. « Pas encore, petite ; dans un instant. Pour le premier jour, je vais aller te conduire. Viens ici, que je voie si ta toilette est bien en ordre. »

Dame Gertrude arrange les plis du petit mantelet ; elle entoure de son bras sa petite Annette debout auprès d’elle, et la regarde tendrement. Quelle chère petite figure, douce, confiante, sincère, honnête ! Puisse-telle toujours rester ainsi ! La grand’mère met un baiser sur le front de l’innocente, et lui dit doucement : « Es-tu contente d’aller à l’école ? Seras-tu bien sage ? Apprendras-tu bien ce que la maîtresse te montrera ? »

Annette répond à ces questions par un « oui » timide ; elle est pleine de bonne volonté ! mais elle est un peu craintive, cela se voit ; elle a besoin d’être rassurée.

« N’aie pas peur, lui dit sa grand’mère ; tu ,’as qu’à faire de ton mieux, et tout ira bien. Vois-tu, il faut aller à l’école pour s’instruire. Moi, je t’ai appris ce que je pouvais ; je suis vieille à présent, mes mains tremblent, je ne pourrais pas écrire comme la maîtresse, et te faire de beaux modèles qui ont l’air d’être imprimés. Et puis, dans mon temps, on n’apprenait pas autant de choses qu’à présent ; j’ai fit instruire ta mère, et elle ne m’a jamais méprisée, moi qui étais plus ignorante qu’elle : tu ne me mépriseras pas non plus, toi, quand tu seras devenue savante ?

—- Oh,  grand’mère ! s’écria Annette en devenant toute rouge.

—- C’est pour rire, ma chérie ; je sais bien que cela n’arrivera pas. Mais tu trouveras dans le monde des gens que tu pourras être tentée de mépriser, des ignorants, des malheureux qui sont devenus méchants parce qu’on ne leur a pas appris à bien faire ; il faudra les plaindre, et remercier Dieu de t’avoir donné les moyens de t’instruire. Comprends-tu cela ?

—- Oui, grand’mère, répondit l’enfant, sérieuse.

—- Il faut que je te dise autre chose, ma chérie.

Tu vas te trouver avec beaucoup de petites filles ; il y en aura qui apprendront mieux que toi parce qu’elles ont plus d’esprit, qu’elles comprennent plus facilement, ou parce qu’il y a longtemps qu’elles vont à l’école ; ce serait bien mal, si tu allais être jalouse d’elles. Il faudra tâcher de les imiter, t’appliquer de tout ton cœur et faire de ton mieux, non pas pour les dépasser et leur prendre leur place, mais pour contenter la maîtresse et faire ton devoir. Et s’il y a des petites filles plus ignorantes que toi, qui aient beaucoup de peine à apprendre, il ne faudra pas te moquer d’elles ; il faudra les encourager, les consoler et les aider si tu le peux. Je suis sûre que tu le feras, car tu as un bon petit cœur. »

Les yeux d’Annette brillèrent de joie à cette éloge de sa grand’mère.

« Tu vas à l’école pour apprendre, reprit dame Gertrude. Mais à quoi cela sert-il d’apprendre ? Il y a des gens qui ne savent rien du tout et qui sont de bien braves gens, comme Tony, le bûcheron, et la vieille Jeanie, qui file pour le monde pour gagner sa vie : on n’a jamais vu de plus honnêtes gens qu’eux. Mais, outre que c’est agréable de savoir beaucoup de choses, parce qu’on y pense et que cela vous empêche de vous ennuyer, cela vous rend capables d’être utiles à votre prochain ; plus on est savant, plus on peut faire de bien ; et nous sommes en ce monde pour y faire le plus de bien possible, il n’y a pas de doute à cela. C’est pour cela que c’est le devoir des parents de faire instruire leurs enfants, et c’est le devoir des enfants de profiter de l’instruction qu’on leur donne. Aussi je compte que ma petite Annette, qui ne m’a jamais donné que de la satisfaction depuis qu’elle est en ce monde, va devenir une bonne petite écolière. Embrasse-moi, ma chérie, et partons, car il est l’heure : il n’y a que les mauvais élèves qui arrivent en retard. »

Annette suivit-elle les conseils de sa grand’mère ? L a réponse est écrite sur sa figure, et je souhaite à toutes les écolières de lui ressembler.

Dame Gertrude et Annette
Dame Gertrude et Annette