Le petit André Morbaz était fils d’un ouvrier tailleur de pierre, et il habitait une petite ville toute peuplée de fabriques et d’usines. Toute sa vie il avait vu de hautes maisons, de grands tuyaux de briques d’où sortait une fumée noire, des rues étroites peuplées de pauvres gens, et des enfants chétifs qui travaillaient déjà comme des hommes. Lui, il ne travaillait pas encore : ce n’était pas que l’envie lui en manquât, et il demandait souvent à sa grand’mère, chez qui il demeurait, depuis qu’il avait perdu sa mère, de le faire entrer dans une fabrique pour qu’il pût gagner de l’argent. Mais sa grand’mère ne voulait pas y consentir. «Tu es trop petit, lui disait-elle ; Je veux que tu deviennes grand et fort avant de prendre un métier ; et tu n’as pas besoin de travailler, puisque je peux te nourrir, avec l’aide de ton père. Plus tard, si tu veux être tailleur de pierre comme lui, il t’apprendra son métier, et vous pourrez être toujours ensemble : ce sera bien plus gai pour tous deux que de vivre chacun de votre côté. Tailler la pierre, c’est fatiguant, sans doute ; mais c’est encore plus sain que d’être enfermé toute la journée dans une fabrique. »
Le petit André, lui, aurait voulu gagner tout de suite de l’argent pour donner à sa grand’mère une quantité de choses dont elle se privait, parce qu’elle était pauvre. Par exemple, un pot d’œillets rouges, qui auraient fleuri sur sa fenêtre ; et puis une mante à capuchon, avec une agrafe d’argent, comme il en voyait les dimanches d’hiver à Mme Trude, qui vendait du café au lait aux ouvriers ; et puis un bon coussin bien rembourré pour garnir le dossier de la chaise où elle travaillait toute la journée à ravauder des bas pour gagner sa vie. Il y avait encore bien d’autres objets qu’André désirait donner à sa grand’mère, depuis une tasse à fleurs pour son café jusqu’à une petite maison à la campagne ; une fois qu’on est en trai de désirer, il n’y a pas de raison pour qu’on s’arrête.
Une petite maison à la campagne ! Comme cela devait être joli, et comme on devait y être heureux ! André ne connaissait pas la campagne ; la ville où il demeurait avait de vilains faubourgs, qui n’en finissaient plus, et il aurait fallu aller loin pour voir des arbres et des prairies. Deux ou trois fois seulement il avait entrevu, en dépassant peu le faubourg, des maisonnettes couvertes de tuiles rouges et entourées de verdure ; et sa grand’mère lui avait raconté la vie des gens qui demeuraient là dedans. Elle savait cela, elle, car elle était de la campagne, et elle aimait à en parler.
André aurait bien voulu voir de près les moutons au pâturage et les vaches à l’étable ; mais grand’mère n’avait plus d’assez bonnes jambes pour le mener si loin, et elle n’aimait pas le laisser courir tout seul.
Et le père d’André, où était-il donc ? Tantôt ici, tantôt là ; on ne construisait guère dans la ville où demeurait la mère de sa défunte femme, et il n’y aurait pas trouvé assez d’ouvrage. Aussi il n’y venait pas souvent. Il allait dans les villes où l’on faisait de grands travaux, il s’engageait dans un chantier de construction, gagnait de bonnes journées et envoyait de l’argent à sa belle-mère pour nourrir et élever André. Il aurait bien voulu avoir son enfant avec lui, mais qu’en aurait-il fait ? Il était bien obligé de vivre seul, tant qu’André n’était pas d’âge à travailler avec lui.
André venait d’avoir huit ans, lorsque sa grand’mère tomba malade, et, comme il n’aurait pas été capable de la soigner, elle fut obligée d’aller à l’hôpital. Elle était bien inquiète d’André, la bonne grand’mère ; s’il allait, pendant qu’elle ne pouvait pas veiller sur lui, se lier avec de mauvais garnements qui le gâteraient ! Elle demanda au médecin s’il pensait qu’elle dût être longtemps malade ; et, apprenant qu’elle en avait bien pour trois semaines ou même davantage, elle se dit qu’il valait encore mieux que l’enfant fût avec son père que de rester tout seul.
Le père d’André, Jean Morbaz, travaillait à ce moment-là à Sainte-Gemme, une grande ville où l’on construisait beaucoup de belles maisons. Ce n’était pas tout près ; mais, en demandant aux infirmières, aux sœurs, aux autres malades et aux gens qui venaient les voir, la grand’mère trouva un brave charretier qui s’en retournait chez lui à Chantraux, sur la route de Sainte-Gemme. Il consentit à se charger gratis d’André, qu’il emmènerait le lendemain matin ; à Chantraux, il le confierait à un de ses voisins, qui le conduirait le jour même jusqu’à Lamorière. Là, il n’aurait plus que six lieues à faire, et le voisin trouverait bien quelqu’un d’honnête qui irait à Sainte-Gemme et qui se chargerait de lui.
La grand’mère, donc, quand André vint la voir, lui recommanda de faire un paquet de ses vêtements, de prendre dans le tiroir d’en haut de sa commode, dans le coin à gauche, l’argent qu’il trouverait dans une petite boîte, et de faire bien attention à ne pas en perdre ; ce serait pour payer sa nourriture pendant le voyage. Le charretier le prendrait avec lui le lendemain matin, et il n’aurait qu’à le suivre et à faire ce qu’il lui dirait. Quand la grand’mère serait guérie, elle lui écrirait pour qu’il revînt.
Le voyage alla très bien d’abord ; le charretier emmena André à Chantraux, et le fit manger solidement avant de le confier à son voisin qui s’en allait à Lamorière. Le voisin eut bien soin de lui, le fit dîner et coucher, sans vouloir prendre son argent, et s’occupa de chercher quelqu’un qui pût le conduire jusqu’à Sainte-Gemme et le remettre à son père.
Ici, la chance tourna. Certainement, c’était un brave homme que le père Bluteau, le vieux roulier qui fit monter André sur sa charrette le lendemain matin ; mais, principalement en été, il aimait à se rafraîchir, et on était au mois de juillet. Il se rafraîchit donc toutes les fois qu’il en trouva l’occasion, si bien que, quand il arriva à un endroit où la route bifurquait, il ne reconnut plus le bon chemin et se lança sur la route de droite, malgré ses chevaux, qui voulaient prendre la route de gauche, comme c’était leur habitude. Les bêtes ont quelquefois plus de bon sens que les hommes.
André ne s’en inquiéta pas ; il ne savait pas, lui, si la bonne route était celle de droite ou celle de gauche. Seulement il se rappela que le père Bluteau lui avait répété plusieurs fois depuis le matin :
« Quand nous serons à la bifurcation, nous n’aurons plus qu’une petite lieue à faire. »
Et il se réjouit d’être si près d’arriver.
Pourtant la voiture roulait toujours, et on n’arrivait point. Le père Bluteau, qui avait beaucoup bavardé jusque-là, devenait taciturne. Il s’étonna une ou deux fois de ne point voir encore l’auberge du Pot Fêlé, dont l’hôtesse avait un petit vin si frais dont il comptait bien boire une chopine ; puis il ne dit plus rien, et tout à coup André ne le vit plus, son fouet en main, à la tête de ses chevaux. Il se pencha pour regarder si le père Bluteau était resté en arrière : il l’aperçut couché de tout son long sur le côté de la route.
«Ooooh ! » fit André, qui avait remarqué que ce signal arrêtait les chevaux du vieux roulier. Les chevaux s’arrêtèrent, et André sauta à bas de la charrette et courut au père Bluteau.
Il l’appela, il le secoua : peine utile. Le père Bluteau entr’ouvrit un œil, se souleva sur un coude, de façon à se rapprocher tout à fait d’un talus dont il se fit un oreiller, et, se trouvant à son aise, il se rendormit pour tout de bon. Les chevaux ne parurent pas s’en étonner et restèrent immobiles.
André était très contrarié.
« Est-ce qu’il va dormir comme cela toute la journée ? se dit-il. Comme c’est vilain de boire ! Je ne boirai pas, moi, quand je serai grand : papa ne boit pas d’ailleurs… Dire que nous devons être tout près de Sainte-Gemme ! Une petite lieue après la bifurcation….. il y a longtemps qu’elle est passée…. Je pourrais bien m’en aller tout seul ; je sais l’adresse de papa, et dans quel chantier il travaille…. Ma foi ! J’y vais ! le père Bluteau se passera bien de moi. Je reviendrai avec papa pour le réveiller, s’il dort encore. »
Et André prit son petit paquet et un morceau de pain qu’il avait gardé de son déjeuner et trotta aussi vite qu’il put : il s’attendait toujours, après chaque montée, à voir la ville devant lui.
Il y avait bien deux heures qu’il marchait, et il n’avait encore rien vu. Il se sentait fatigué, et il avait envie de dormir ; il était parti de très grand matin. Mais où dormir ? Sur la route ? Oh ! non ! les passants n’auraient qu’à le prendre pour un ivrogne comme le père Bluteau ! Il chercha un endroit où il pût dormir sans être vu.
A gauche de la route s’enfonçait un petit chemin creux ; André y fit quelques pas, et bientôt il aperçut des toits de tuiles et de chaume entourés de bouquets d’arbres. « Voilà des maisons comme celle où ma grand’mère demeurait quand elle était petite, se dit-il ; comme elles sont jolies ! » Il s’avança, franchit une barrière, entra dans un pré……. De beaux pommiers répandaient la fraîcheur de leur ombre sur l’herbe verte ; des poules picoraient çà et là, gloussant pour appeler leurs poussins, et une chèvre blanche attachée à un piquet paissait tranquillement. Tout ce peuple de bêtes s’arrêta pour regarder André et reprit ensuite ses occupations, ne lui trouvant sans doute point mauvaise figure.
André vit une porte ouverte : une sorte de hangar, d’étable abandonnée, fraîche et sombre, éclairée seulement par une ouverture garnie de barreaux de fer. Par terre, de la paille, des débris ; le petit garçon pensa qu’il serait bien là pour dormir et qu’il n’y gênerait personne. Il se coucha sur la paille, dans un petit coin, ferma les yeux…. Au bout de deux minutes il dormait. Il avait eu l’intention de manger son pain, mais il n’en avait pas seulement avalé deux bouchées, tant il avait sommeil.
Il l’avait gardé dans sa main, son pain ; et Chinette s’en aperçut bien vite. Chinette, c’était une grande poule, la plus grande de la ferme, et la plus hardie aussi ; la petite fille du fermier l’avait nommée Chinette parce qu’elle avait un plumage noir et gris, comme qui dirait chiné. Elle aimait le pain Chinette ; et elle vint se percher sur des brins de fagot, tout près d’André, et allongea le cou de son côté, pour voir si c’était bien du pain. Oui vraiment, c’était du pain ! Chinette n’était pas égoïste ; elle ne songea pas un instant à profiter seule de sa découverte. Elle vola sur la fenêtre et appela toute sa petite famille.
« Cot cot cot cot cot cot codè ! Cot cot cot cot cot cot codè ! » Les poussins de Chinette accourent en se bousculant ; la couvée de la Grise et celle de Noiraude arrivent du bout de la cour ; les mères les accompagnent, et le beau coq empanaché les suit d’un pas majestueux, pour s’assurer que tout se passe en bon ordre. Et tout le monde emplumé se presse autour d’André endormi. Qui attaquera le morceau de pain ? C’est Chinette ! elle y donne hardiment le premier coup de bec….. et André, réveillé en sursaut, se voit avec terreur entouré de toute la basse-cour. Il a des poussins perchés sur ses gros souliers, il en a deux sur son genou, et le coq, le voyant s’agiter, lance un formidable coquerico pour prévenir ses poules de prendre garde.
Pauvre André ! Il n’avait jamais vu de si près ni poule ni coq ; il crut que ces bêtes voulaient le manger et se mit à pousser des cris perçants. A ses cris, tous les volatiles s’enfuirent avec un grand froufrou d’ailes, et la fermière accourut au bruit, croyant qu’un renard était entré dans le poulailler.
Point de renard ! un joli petit garçon qui pleurait. La fermière le consola : c’est ce que nous aurions tous fait à sa place ; et puis elle lui demanda ce qu’il faisait là, et d’où il venait. André raconta ses aventures.
Au nom du père Bluteau, la fermière haussa les épaules. « Si ça a du bon sens de confier un enfant au père Bluteau ! il est connu dans tout le pays, cet être-là ! Il s’est trompé de chemin ; par l’autre route, vous n’aviez plus qu’une demi-heure de marche. Tu ne peux pas aller trouver ton père aujourd’hui, mon petit ; je vais m’occuper de lui faire dire où tu es, et je te garderai en attendant qu’il vienne te prendre. Tu dois avoir faim ? Viens que je te donne du lait ! »
André suivit la bonne fermière ; et comme il la regardait traire les vaches, il vit passer un groupe d’ouvriers qui venaient de finir leur journée et s’en allait leurs outils sur l’épaule. La fermière les appela.
« N’avez-vous pas dans votre chantier un tailleur de pierre qui s’appelle Jean Morbaz ? » leur dit-elle.
Non, il n’y était point : mais un des ouvriers le connaissait. Il avait tout récemment changé de chantier, et il travaillait à une maison de plaisance qu’on bâtissait à une demi-lieue de la ferme ; il demeurait à l’auberge des Trois-Piliers, dans le prochain village.
Qui fut content ? ce fut André. La bonne fermière envoya tout de suite un de ses garçons prévenir Jean Morbaz que l’enfant était là ; Jean Morbaz arriva une heure après.
Il fut très joyeux de revoir son fils, mais un peu embarrassé de ce qu’il allait faire de lui. Heureusement que la fermière vint à son secours.
« Laissez-moi le petit, dit-elle ; je le soignerai bien, et il se rendra utile si cela lui fait plaisir : il y a de l’ouvrage pour tout le monde à la campagne. J’ai justement besoin d’un petit garçon pour gardre les oies ; veux-tu les garder, petit ? »
André ne demandait pas mieux. Il sut se rendre utile et il montra un si aimable caractère pendant tout le temps que sa grand’mère fut malade, que la fermière s’attacha à lui et chercha comment elle pourrait faire pour le garder.
A force de chercher, on trouve, surtout quand on ne veut que le bien ; André ne retourna pas chez sa grand’mère, quand elle fut guérie ; ce fut elle qui vint le trouver. Elle demeura dans une toute petite maison qui dépendait de la ferme ; elle eut un petit jardin et un poulailler ( André n’avait plus peur des poules), et elle put continuer son métier de ravaudeuse, car les femmes de la ferme et du village qui était auprès n’avaient pas souvent le temps de raccommoder les bas de leur famille. Elle y gagna assez pour vivre ; il lui fallait si peu ! Jean Morbaz put demeurer presque toujours avec elle ; il trouvait beaucoup d’ouvrage à Sainte-Gemme et aux environs. Quand à André, il prit goût à la campagne ; il a gardé d’abord les oies, puis les moutons, les vaches, et en grandissant il s’est mis aux diverses besognes des champs ; il deviendra sûrement un bon cultivateur. Il est content de son sort, et il garde une grande reconnaissance au père Bluteau pour avoir été cause de son bonheur. Le père Bluteau ne l’a pas fait exprès, pourtant !
Evitez dans la mesure du possible, de copier les textes des contes pour enfant, sauf si cela est plus facile pour faire lire vos enfants. Dans ce cas, il serait bien que vous remerciez « l’auteur » dans les commentaires qui à pris de son temps pour recopier ces anciens contes presque introuvables. Merci.
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