Souvenirs Editions Gallimard lu en septembre 2011
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David Foenkinos
Quatrième de couverture :
« Je voulais dire à mon grand-père que je l’aimais, mais je n’y suis pas parvenu. J’ai si souvent été en retard sur les mots que j’aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l’écrit, maintenant. Je peux le lui dire, là. »
David Foenkinos nous offre ici une méditation sensible sur la vieillesse et les maisons de retraite, la difficulté de comprendre ses parents, l’amour conjugal, le désir de créer et la beauté du hasard, au fil d’une histoire simple racontée avec délicatesse, humour, et un art maîtrisé des formules singulières ou poétiques.
David est l’auteur de neuf romans. Ils sont traduits dans plus d’une vingtaine de pays.
L’auteur :
Autres romans de l’auteur
– Gallimard
- Inversion de l’idiotie, 2002
- Entre les oreilles, 2002
- Le potentiel érotique de ma femme, 2004 (folio)
- Qui se souvient de David Foenkinos ? 2007
- Nos séparations, 2008
- La délicatesse 2009
– Flammarion
- En cas de bonheur, 2005 (j’ai lu)
- Célibataires, théâtre 2008
– Grasset
- Les cœurs autonomes, 2006
– Plon
- Lennon, 2010
– Emmanuel Proust
- Pourquoi tant d’amour, 2004 2 tomes
– Editions du moteur
- Bernard, 2010
– Editions Albin Michel Jeunesse
- Le petit garçon qui disait toujours non 2011
Extraits :
Page 9
C’était sûrement ça le plus violent, de le sentir conscient de son état. Chaque souffle s’annonçait à lui comme une décision insoutenable. Je voulais lui dire que je l’aimais, mais je ne suis pas parvenu. J’y pense encore à ces mots, et à la pudeur qui m’a retenu dans l’inachèvement sentimental. Une pudeur ridicule en de telles circonstances. Une pudeur impardonnable et irrémédiable. J’ai si souvent été en retard sur les mots que j’aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l’écrit, maintenant. Je peux lui dire, là.
Page 14
Et puis un détail changea tout. Ce détail, c’est une savonnette. Mon grand-père avait survécu à la guerre ; il avait été blessé dès les premiers jours de combat par un éclat d’obus. A quelques mètres de lui était mort son meilleur ami, écrabouillé. Le corps explosé de ce soldat avait d’ailleurs atténué pour lui l’impact de l’obus, le laissant abasourdi mais sauf. Je repense souvent à cet obus qui, à quelques mètres près, aurait tué mon grand-père. Tout ce que je vis, les souffles de mes heures et les battements de mon cœur, ne doit l’existence qu’à quelques mètres. Peut-être même est-ce une question de centimètres. Parfois, quand je suis heureux, quand je contemple une femme suisse ou un paysage mauve, je pense à l’inclinaison de l’obus, je pense à chaque détail qui a poussé le soldat allemand à tirer son obus ici et maintenant, et non pas là et une seconde plus tôt ou plus tard, je pense à la folie de l’infime qui fait que je suis là. Et que mon grand-père était donc là, survivant, et bienheureux de se sortir de cette galère à laquelle il ne comprenait rien.
Page 19
Des années plus tard, il avait demandé à sa femme : « peux-tu refaire ta mayonnaise ? « Elle avait répondu : « je ne me souviens plus de la recette. » Mon grand-père n’acceptant pas cette réponse, y voyant sûrement bien davantage que l’oubli d’un ingrédient, y voyant la fin d’une époque, y voyant quelque chose de tragiquement révolu, harcela sa femme pour qu’elle reproduise la fameuse mayonnaise. Il resta des heures en cuisine avec elle, goûtant chaque tentative, s’emportant pour un zeste de citron mal venu. Rien à faire, il n’avait aucun moyen de retrouver cette forme étrange de paradis perdu.
Page 25
Dans le salon, on s’asseyait sur les deux canapés, face à face. On se souriait timidement, et on n’avait rien à se dire. Passé les premières questions sur la journée, sur la famille, sur comment ça va et toi comment ça va, on s’engouffrait dans le blanc des mots. Mais ça ne me dérangeait pas plus que ça. Avec mon grand-père, c’était pareil les dernières années. On est là, près d’eux. Et cela suffit, non ? Je jouais le rôle du bon petit-fils, je trouvais parfois une ou deux anecdotes capables de grappiller quelques secondes, de grignoter du terrain au silence. Mais je ne cherchais jamais à faire des efforts factices. Je n’étais pas dans une situation sociale. D’autres jours, je ne sais pas vraiment par quel mécanisme cela se produisait, mais nous étions capables de parler sans nous arrêter. Je retrouvais ma grand-mère, pleine d’énergie et de vie. Souvent, ces conversations étaient liées aux souvenirs. Elle me parlait de sa jeunesse, de mon grand-père et même de mon père, un sujet qui ne m’intéressait pas vraiment. Je préférais les récits de la guerre, les récits de la lâcheté ordinaire, les récits qui faisaient que je l’écoutais comme un livre. Elle me racontait la vie sous l’Occupation. Il y a des passés extrêmement charismatiques qui refusent d’admettre que leur temps est révolu ; le bruit des sentinelles allemandes dans les rues fait partie de cette catégorie qui n’en finit plus. Elle est pour toujours cette jeune femme terrée dans une cave, blottie contre sa mère, contrainte au silence par la peur et le bruit des bombes. Elle est cette fille effrayée de ne plus avoir de nouvelles de son père, qui songe qu’elle est peut-être orpheline à présent…
Page 130
Un souvenir de Gérard
Il était rentré chez lui, un peu plus tard que d’habitude, avait traversé son salon sans même le regarder, puis s’était allongé sur son lit. Il avait remarqué l’absence de sa femme et de ses enfants, mais il ne s’était pas inquiété plus que ça. Il avait pensé qu’ils étaient sortis au cinéma ou au restaurant, sans le prévenir, voilà tout. Pourtant, il était déjà plus de minuit, et si Gérard avait été un peu plus conscient de la situation il se serait immédiatement douté que quelque chose n’était pas logique. Il parvint pourtant à s’endormir, et c’est seulement au cœur de la nuit, dans un soubresaut enfin inquiet, qu’il parcourut l’appartement à la recherche d’un membre de sa famille. En vain. Il se dirigea alors vers la cuisine pour boire un verre d’eau. A travers la fenêtre, il remarqua la naissance encore hésitante du jour, et découvrit un mot sur la table. Encore étourdi par son récent réveil, il ne parvint pas immédiatement à le déchiffrer. Il lui fallut une ou deux secondes pour enfin distinguer : « Nous sommes partis. » il relut plusieurs fois ces trois mots, sans trop y croire, puis son regard fut attiré par un petit P.S. tout en bas de la feuille. Sa femme, qui allait devenir son ex-femme, avait écrit : « C’est à cette heure-ci que tu t’en rends compte ? »
Page ?
Que savons-nous d’une personne ? très peu : on s’en rend compte quand elle disparaît de son plein gré ; j’ai souvent entendu dire qu’ »un véritable ami, c’est quelqu’un qu’on peut appeler en pleine nuit quand on se retrouve avec un cadavre sur les bras ». Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé cette idée. Il y a des gens qui passent leur temps à se demander ce qu’ils feraient s’ils gagnaient au Loto, moi je me demande qui j’appellerai le jour où je devrai me débarrasser d’un corps (car il est très peu probable que je gagne un jour au Loto). Je parcours la liste de mes amis, et j’hésite. Je pèse le pour et le contre d’une lâcheté éventuelle. Et puis je me rends compte que le choix est plus complexe que prévu : aimer un ami, c’est aussi éviter de l’impliquer dans une histoire aussi sordide que risquée. A peu de chose près c’est identique pour une disparition. Si je venais à fuir, je pense que la seule personne qui pourrait me retrouver, c’est justement cet ami qui m’aiderait à me débarrasser de ce cadavre qui m’encombre. Pour continuer mon investigation, j’ai essayé d’imaginer que ma grand-mère avait tué quelqu’un. Mais finalement, j’ai admis que je n’étais pas très bon en déduction. J’étais du genre à me perdre dans un labyrinthe de digressions. Alors, il valait peut-être mieux reprendre à zéro la réflexion.
Page 209
Je ne sais plus vraiment pendant combien de temps je suis resté figé devant le rayon, sûrement un long moment, car le caissier s’est avancé vers moi :
« Je vous conseille les Twix.
– Ah bon ? Pourquoi ?
– Parce qu’ils sont deux «
J’ai pensé : toute la vie devrait être comme ça. Pour chaque choix à faire, on devrait avoir un conseil d’une personne qui semble maîtriser le sujet. Il avait raison, les Twix semblaient un bon choix. Au moment de payer, je fus sais par une intuition : si cet homme s’y connaissait en barres chocolatées, peut-être était-il aussi en femmes ? Il y avait beaucoup de points communs entre les deux finalement.
« Est-ce que je peux vous poser une question ?
– Oui.
– C’est à propos de ma fiancée. Enfin, je n’ai plus de nouvelles d’elle depuis trois jours. Je ne comprends pas son attitude. Tout allait bien entre nous. Et puis, depuis qu’elle est rentrée chez elle, elle ne répond plus à mes messages.
– Il lui est peut-être arrivé quelque chose…
– Non, je sais qu’elle va bien
– Tant mieux
– Et là, je suis en train de rouler pour la retrouver. Pour qu’elle m’explique ce qui se passe.
– Ah… très bien. Et ?
– Je voulais avoir votre avis.
– Mon avis ?
– Oui… un peu comme vous avez fait avec les Twix. Vous avez l’air de savoir ce qu’il faut faire ou non.
– Vous voulez mon avis ?
– Oui
– Vous voulez vraiment mon avis ?
– Oui
– Rentrez chez vous. Faites demi-tour, et rentrez chez vous.
– Quoi ?
– C’est mon conseil. C’est la meilleure chose à faire.
– …
– Vous avez l’air épuisé, hagard. Et puis, vous êtes à moitié trempé. Franchement, c’est cette impression que vous voulez donner ? Vous voulez arriver au petit matin, la cueillir, tout ça pour lui demander une explication…Non, soyez un peu responsable. Elle va vous voir, et il est probable qu’elle vous trouvera pathétique. Pardon, je suis désolé de vous dire ça, mais vous m’avez demandé mon avis. J’essaye d’être sincère…
– Oui, mais…
– Si ça se trouve, elle sera agressive. Car elle va penser que vous ne respectez pas son silence. Les femmes détestent ça.
– Ah bon ?
– Mais je crois surtout qu’une fois l’énervement passé, elle éprouvera de la pitié.
– Bon, je vais prendre les Twix, ai-je dit le regard ailleurs.
– Oui. Prenez les Twix et rentrez chez vous.
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