LA PREMIÈRE PROMENADE DE MOUMOU

LA PREMIÈRE PROMENADE DE MOUMOU

 

 

Moumou, le veau de Blanchette, la petite vache bretonne, est aujourd’hui le plus joyeux des petits veaux. Curieux, comme sont les enfants, il avait grande envie de connaître le monde. Il voyait tous les jours les gens de la ferme venir chercher les vaches et les bœufs, et les emmener dès le matin pour les ramener le soir, et il aurait bien voulu aller avec eux. Il disait à sa mère Blanchette : « Pourquoi nous laisse-t-on ici tous les deux tout seuls, pendant que tous les autres s’en vont se promener ? Où vont-ils ? Est-ce bien beau, ce qu’ils voient ? Est-ce bien amusant, ce qu’ils font ? » Et Blanchette lui répondait : « Tu es encore trop petit pour sortir, et on me laisse avec toi, parce que les enfants ne peuvent pas se passer de leurs mère ; tu iras plus tard au champs, et tu verras tout ce que voient les autres ; ne sois pas pressé, et bois tant que tu pourras de mon bon lait pour devenir grand et fort. »

Moumou avait suivi ce dernier conseil avec plaisir : le lait de Blanchette était si bon ! C’était le meilleur de la ferme ; et, si le petit veau était pressé de grandir pour voir le monde, les enfants du fermier, de leur côté, disaient tous les jours : « Quand donc Moumou commencera-t-il à manger de l’herbe, pour nous laisser le lait de Blanchette ? Il n’y en a pas qui donne de meilleur crème. »

Pendant plusieurs jours, Moumou n’est pas sorti de l’étable ; puis un matin, on l’a conduit dans la cour, et il a trouvé le soleil éblouissant : la tête lui en tournait, et il avait de la peine à se tenir sur ses pauvres jambes molles et faibles. Peu à peu il s’est enhardi et fortifié ; il a couru, sauté, gambadé, si bien que, ce matin, le fermier a dit : « Il faudra tantôt mener Blanchette et son veau boire à la rivière ; cela leur fera du bien, et le petit est maintenant assez fort pour faire la route. »

Comme il était ému, le jeune Moumou, lorsqu’il est sorti de l’étable ! comme son petit cœur battait quand Gothon, la servante, a ouvert la barrière, et que la Brunotte, la grande vache noire, s’est engagée la première dans le chemin ! Toutes les autres bêtes l’ont suivie, et Blanchette s’est mise au dernier rang, avec Moumou à côté d’elle. Le soleil baissait, mais il était encore chaud, et Moumou était tout réjoui par cette bonne chaleur. Il avait plu, et il était resté sur l’herbe et sur les branches des gouttes d’eau qui brillaient ; il y avait dans les arbres des oiseaux qui gazouillaient, et une quantité de gros insectes, abeilles, papillons et demoiselles, volaient en zigzag à travers le chemin. Moumou écoutait, regardait, et trouvait tout très étonnant et très beau. Il vit, à un moment, Blanchette qui s’arrêtait et tondait d’un coup de dents une touffe d’herbe tendre. « Comme cela a l’air bon ! » pensa-t-il, et il happa le bout d’une branche qui se trouvait à sa hauteur. Mais il y avait du bois sous les feuilles, c’était très dur et cela lui fit mal ; il se mit à gémir en appelant sa mère. Et la bonne Blanchette le consola et lui choisit une touffe d’herbe bien tendre ; et elle resta à le regarder brouter, contente d’avoir un petit veau qui mangeait si bien tout seul, et un peu triste au fond, tout de même, de ce que son petit enfant trouvait l’herbe meilleure que son lait. Mais Blanchette savait que les petits veaux sont faits pour devenir grands, et que rien ne peut empêcher cela ; elle se consola et rejoignit avec Moumou le reste du troupeau.

On arriva à la rivière. « Ah ! maman, que le monde est beau ! » s’écria Moumou, plein d’admiration. En effet, il avait raison, Moumou, et l’endroit où il se trouvait était un bel endroit. La rivière coulait avec un joli bruit sur des cailloux de toutes couleurs, qu’on voyait briller à travers l’eau claire ; la prairie verte s’avançait jusqu’au bord de l’eau, et , de l’autre côté de la rivière, se dressait une berge de sable jaune ; puis, au-dessus, une grande prairie fauchée, avec des bouquets d’arbres, des montagnes au fond, qui s’élevaient bien haut dans un ciel bleu moucheté de nuages. Et, dans la prairie, Moumou reconnut Châtain et Merlet, les deux bœufs de labour qu’il connaissait bien, attelés à une grande charrette où les hommes de la ferme empilaient quelque chose. Ils en avaient déjà tant mis, que la charrette paraissait à Moumou presque aussi haute que les montagnes. Il demanda à sa mère ce que tout cela voulait dire.

La bonne Blanchette était d’avis qu’il faut toujours répondre aux questions des enfants, quand ils questionnent pour s’instruire, bien entendu. Elle expliqua à Moumou qu’on appelait cette chose-là une rivière, cette autre une prairie ; elle lui nomma les arbres, les montagnes, le ciel ; elle lui expliqua que Châtain et Merlet allaient ramener la charrette à la ferme quand elle serait pleine de foin.

« Le foin, vois-tu, mon petit, lui dit-elle, c’est de l’herbe. S’il faisait toujours un beau temps chaud comme aujourd’hui, on n’aurait pas besoin de foin ; l’herbe pousserait toujours ; et nous la mangerions fraîche, ce qui serait bien meilleur. Mais il y a un temps très long où l’herbe ne pousse plus, parce qu’il fait froid, et où nous serions très malheureux si nous passions la journée dehors. Aussi les fermiers, au moment où l’herbe est très haute, la coupent, la font sécher, et puis la chargent sur des charrettes, comme celle que tu vois ; et l’herbe sèche s’appelle du foin. Le fermier et ses garçons en feront dans la cour de la ferme une grande montagne qu’on appellera une meule, et, quand le temps sera froid, ils nous apporteront du foin à manger dans notre bonne étable chaude. Châtain et Merlet travaillent pour nous ; il faut les remercier, et, quand tu seras grand, travailler comme eux pour rapporter du foin aux petits veaux de ce temps-là. Quand on a reçu un service de quelqu’un, on ne peut pas toujours le lui rendre ; alors on cherche à son tour à rendre service à quelqu’un qui ait besoin de vous : cela se trouve toujours. Il n’y a rien de meilleur que de faire du bien à ses semblables. Ceux qui ne comprennent pas ce plaisir-là, et qui veulent garder ce qu’ils ont pour eux tout seuls, on les appelle des égoïstes, et c’est le plus vilain nom qu’on puisse avoir. »

Moumou baissa la tête. La veille, il était fâché, il avait boudé, parce que la fermière avait amené à Blanchette, pour qu’elle lui donnât un peu de son lait, le veau de la vache rousse, qui était malade et ne pouvait pas nourrir son petit. Moumou n’avait pas été content ; pourtant, le pauvre petit veau ne lui faisait pas de tort, car Blanchette avait plus de lait qu’ils n’en auraient pu boire à eux deux. Mais Moumou pensait que ce lait-là était à lui, et il ne voulait pas qu’on y touchât. L’idée lui vint, en écoutant sa mère, qu’il s’était conduit comme un égoïste ; et se rapprochant d’elle tout honteux :

« Mère, lui dit-il, je veux bien que tu donnes de ton lait au petit veau de la vache rousse. »

Blanchette inclina sa tête, et de sa grande langue rose et douce elle caressa le petit mufle de Moumou ; c’était sa manière de l’embrasser.

Blanchette et Moumou
Blanchette et Moumou aux champs