Bon rétablissement

  J’ai beaucoup aimé ce roman, très « humain », très drôle aussi, le style de l’auteur. Et la romancière a exactement mon âge !

Les extraits n’ont pas vocation à permettre de reconstituer une histoire ; ce sont surtout des paragraphes que je veux conserver parce qu’ils  m’ont donné à réfléchir, d’une manière ou d’une autre, parce qu’ils disent en peu de mots quelque chose avec quoi je suis parfaitement d’accord sans être capable de le formuler. Certains m’ont souvent « seulement fait rire » toute seule et c’est déjà une raison suffisante pour les conserver !

Dans ce livre, il est question de la vie à l’hôpital, des petits riens qui font le quotidien des patients et du personnel bien sûr, mais aussi du temps nécessairement « vide »  qu’il laisse pour revenir son passé, faire de nouvelles connaissances, vivre des situations inattendues, pénibles ou cocasses. L’hôpital représente un cadre de vie bien réel, organisé et consistant mais en même temps un huis clos qui permet de se tourner sur soi et aussi paradoxalement sur l’extérieur avec peut être plus d’acuité que ne le permet la vie dans  le monde réel semé d’obligations de toutes sortes. Une vie « entre parenthèses » qui va permettre d’en sortir modifié. Et, semble-t-il, dans le sens d’une maturité accrue.

 

Quatrième de couverture 

« Depuis que je suis là, le monde entier me souhaite bon rétablissement, par téléphone, mail, courrier, personnes interposées. Par pigeons voyageurs, ça ne saurait tarder. Bon rétablissement. Quelle formule à la con ! »

« Veuf, sans enfants ni chien », Jean-Pierre est un vieil ours bourru et solitaire, à la retraite depuis sept ans. Suite à un accident bien étrange, le voilà immobilisé pendant des semaines à l’hôpital. Il ne pouvait pas imaginer pire. Et pourtant, depuis son lit, il va faire des rencontres inattendues qui bousculeront son égoïsme…

Critiques 

Avec sa verve habituelle et son humanisme, Marie-Sabine Roger nous offre une nouvelle fois une galerie de portraits hauts en couleur. C’est un tableau doux-amer qu’elle peint de l’hôpital, avec l’humour et le sens de la formule qui la caractérisent, et qui ont fait le succès de ses deux précédents romans, la tête en friche (qui a donné un film) et vivement l’avenir.

Extraits 

Page 62

Elle [l’infirmière] est encore énervée, ça se sent à sa façon de me tamponner virilement les parties avec la serviette trop rêche. Pour ne pas aggraver son courroux et risquer l’accident fatal, je compatis à petits hochements de tête angoissés, souffle court, regard fixe, pupilles dilatées. Enfin elle se détend, et je peux respirer.

Elle m’annonce, dans la foulée, qu’on va bientôt me  relever en position semi-assise, « enlever la perfe et le drain».

Page 102

Dans les périodes d’accalmie, mon père me tannait avec mon avenir. Il espérait que je rentre à sa suite dans le monde glorieux des chemins de fer français. Il avouait pour moi des ambitions sans bornes : je monterais en grade, je passerais des concours. De cheminot, je pourrais devenir contrôleur. Chef de gare, qui sait. Lui qui avait épuisé sa vie en de vaines luttes sociales, il me voulait de l’autre bord, celui des diplômés, des chefs, petits ou grands. « S’élever dans la hiérarchie », il n’avait que ces mots à la bouche. Sa fierté d’ouvrier, c’était que je sois cadre. Il me vantait la vie du rail, les avantages de carrière, la sécurité de l’emploi. Et plus il m’en disait, plus je m’emmerdais déjà. Moi, je voulais de l’aventure, de la roulette russe dans le fond des tripots, des filles délurées, des bordels clandestins. Je voulais une vie pas ordinaire.

Page 104

Je tombe sur un article sur la prostitution masculine au Maroc. Et je pense  à Camille.

J’ai été lamentable.

Je lui ai parlé avec la prétention de ceux qui se croient sages parce qu’ils disent tout haut le fond de leur pensée. Comme s’il suffisait d’être sincère pour être habilité à donner son avis. « Si j’avais un gamin, ça me tuerait de savoir qu’il fait ce que tu fais… »

Comment j’ai pu oser lui dire ça ?!

Toujours à la ramener, mézigue et ma grande gueule, et mon air doctoral ;

Il a vécu du lourd, du méchant, ce gamin. Je repense à la façon qu’il a eue de me dire : « dans ma famille, on n’aime pas les pédés. »

Je suppose que ses parents ont eu honte de lui et qu’ils l’ont foutu à la porte, comme des clients déçus renvoient la marchandise.

Pas de ça chez nous ici.

Chez ceux qui sont bornés, la bêtise est sans bornes.

Ils devraient voir son courage, aujourd’hui. Il en faut de la volonté pour supporter tous ces moments sordides, tout en gardant intactes sa détermination et son envie de réussir.

Il habiterait en Thaïlande ou dans les favelas, ce môme, on trouverait son parcours admirable, on ferait des reportages, ça tirerait des larmes. Là-bas, il serait une sorte de héros.

Ici, c’est seulement une pute à homos.

C’est un mec bien, Camille, ce n’est pas si fréquent. Non seulement il m’a sauvé la vie, mais il est allé témoigner au commissariat, au risque de se faire emmerder par les flics sur son emploi du temps et son emploi tout court. Il est venu prendre de mes nouvelles. Et moi…

Moi, je peux toujours critiquer les cons, dans leur équipe je jouerais avant-centre.

Page 115

Dans la nuit, l’état du vieux monsieur s’aggrave, apparemment.

Il y a un long conciliabule à son chevet, entre le médecin, l’anesthésiste, l’infirmière de nuit, tout un remue-ménage silencieux dans la lumière des veilleuses. Finalement, on le remet sur un brancard. Je l’entends gémir, et sa respiration clapote dans le masque.

Le convoi s’éloigne dans le couloir, je ne gueule même pas pour qu’on referme la porte.

Je me dis que la vieille dame n’aura bientôt plus de main à tenir.

Je n’arrive pas à me rendormir.

Page 155

Quand on est jeune, le sport, ça sert à se sentir plus fort, à séduire les autres.

A assurer sa place de mâle dominant.

A l’époque où j’étais ado, les mecs se jugeaient entre eux sur des critères simples et qui faisaient force de loi : avoir de bons biceps ou une belle bagnole, être une fine braguette ou le laisser supposer, et savoir picoler.

Je ne suis pas certain que ce soit très différent aujourd’hui, sur le fond même si on se base sans doute sur d’autres références. Je ne suis pas expert en jeunes, loin s’en faut, mais l’espèce n’a pas dû  changer à ce point-là. Entre quinze et vingt ans, la vie ressemble à un documentaire animalier : on lutte pour les amours et pour le territoire. S’il fallait pisser dans les coins chaque fois qu’on est en chaleur, les lycées fouetteraient comme des urinoirs…

 

Editions du Rouergue 2012

prix des lecteurs de L’Express 2012

lu en décembre 2013 – *****

Note : le film Bon rétablissement sort le 17 septembre 2014 au cinéma. Reste à savoir comment le film pourra bien retranscrire le livre ?